Directive européenne sur les violences faites aux femmes : Macron envers et contre tous

Introduction

D’après un rapport de l’Agence européenne des droits fondamentaux de 2014[1], au moins 1 femme sur 3 a déjà subi des violences physiques ou sexuelles depuis ses 15 ans. Une femme sur 10 a déjà été agressée sexuellement et une femme sur 20 a été violée. 1 femme sur 2 a également été victime de harcèlement sexuel. La plus souvent, ces faits sont dû au partenaire intime.

La France, quant à elle, se classe 3ème dans les pays avec le plus de violences faites aux femmes, avec près de 44% des femmes qui ont subit des violences physiques ou sexuelles depuis ses 15 ans et 75% de femmes victimes de harcèlement sexuel. Soit 11% et 20% de plus que la moyenne européenne.

Afin d’en finir avec ces violences, la Commission Européenne a proposé une directive[2] sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. Cette directive se propose d’harmoniser les définitions des crimes, de définir une peine maximale minimale pour chacun d’entre eux, et de garantir aux victimes une prise en charge adaptée.

Ce que contient la directive

Harmonisation des définitions

La directive prévoit notamment une harmonisation des définitions des différents crimes de violences faites aux femmes, notamment le viol, dont la définition diffère d’un pays à un autre.
La directive définit :

Le viol
  1. le fait de se livrer avec une femme à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet;
  2. le fait de contraindre une femme à se livrer avec une autre personne à tout acte non consenti de pénétration vaginale, anale ou orale à caractère sexuel avec toute partie du corps ou avec un objet.
Les mutilations génitales féminines
  1. l’excision, l’infibulation ou toute autre mutilation de la totalité ou d’une partie des labia majora, des labia minora ou du clitoris;
  2. le fait de contraindre une femme ou une fille à subir tout acte visé au point a) ou de lui fournir les moyens à cette fin.
Le partage non consenti de matériels intimes ou manipulés
  1. le fait de rendre accessibles à une multitude d’utilisateurs finaux, au moyen des technologies de l’information et de la communication, des images, des vidéos ou d’autres matériels intimes montrant des activités sexuelles d’une autre personne sans le consentement de cette dernière;
  2. le fait de produire ou de manipuler puis de rendre accessibles à une multitude d’utilisateurs finaux, au moyen des technologies de l’information et de la communication, des images, des vidéos ou d’autres matériels donnant l’impression qu’une autre personne se livre à des activités sexuelles, sans le consentement de cette personne;
  3. le fait de menacer de se livrer aux comportements visés aux points a) et b) afin de contraindre une autre personne à accomplir un acte déterminé, à y consentir ou à s’en abstenir.
La traque furtive en ligne ("stalking")
  1. le fait d’adopter, de manière persistante, un comportement menaçant ou intimidant envers une autre personne, au moyen des technologies de l’information et de la communication, conduisant cette personne à craindre pour sa propre sécurité ou pour celle de personnes à sa charge;
  2. le fait de placer une autre personne sous surveillance continue sans son consentement ni aucune autorisation légale à cet effet, au moyen des technologies de l’information et de la communication, afin de suivre ou de surveiller les déplacements et les activités de cette personne;
  3. le fait de rendre accessibles à une multitude d’utilisateurs finaux des matériels contenant les données à caractère personnel d’une autre personne, sans le consentement de cette dernière, au moyen des technologies de l’information et de la communication, dans le but d’inciter ces utilisateurs finaux à causer un préjudice psychologique important ou un préjudice physique à cette personne.
Le cyberharcèlement
  1. le fait de lancer, avec des tiers, une attaque visant une autre personne, en rendant accessibles à une multitude d’utilisateurs finaux des matériels menaçants ou insultants, au moyen des technologies de l’information et de la communication, avec pour effet de causer un préjudice psychologique important à la personne visée;
  2. le fait de participer, avec des tiers, à une attaque visée au point a).
Incitation à la violence ou à la haine en ligne

Les comportements intentionnels incitant à la violence ou à la haine visant une personne, un groupe de personnes ou un membre de ce groupe défini sur la base du sexe ou du genre, en diffusant au public du matériel contenant ces incitations au moyen des technologies de l’information et de la communication

Peine maximales minimales

La directive prévoir également des peines maximales minimales. C’est-à-dire que les peines maximales des pays membres de l’Union Européenne pour les crimes énoncés ne pourront pas être en dessous des limites de la directive.

  • Viol :
    • 8 ans de prison,
    • 10 ans en cas de circonstances aggravantes,
    • participation obligatoire à un programme d’intervention en cas de récidive
  • Mutilations génitales féminines
    • 5 ans de prison,
    • 7 ans en cas de circonstances aggravantes
  • Traque furtive en ligne et incitation à la violence ou à la haine en ligne
    • 2 ans de prison
  • Partage non consenti de matériels intimes ou manipulés et cyberharcèlement :
    • 1 an de prison

Rappel : ce sont des peines minimales, chaque pays peut les augmenter, en France par exemple la peine maximale pour viol est déjà à 15 ans d’emprisonnement ou 20 ans en cas de circonstances aggravantes.

Harmonisation des circonstances aggravantes

La directive prévoit l’obligation pour les États de considérer comme circonstances aggravantes :

  • le fait que l’infraction ait été commise de façon répétée
  • le fait que l’infraction a été commise à l’encontre d’une personne rendue vulnérable du fait de circonstances particulières, telles qu’une situation de dépendance ou un état de handicap physique, mental, intellectuel ou sensoriel, ou vivant en institution;
  • le fait que l’infraction a été commise à l’encontre d’un enfant;
  • le fait que l’infraction a été commise en présence d’un enfant;
  • le fait que l’infraction a été commise par deux ou plusieurs personnes agissant ensemble;
  • le fait que l’infraction a été précédée ou accompagnée d’une violence extrême;
  • le fait que l’infraction a été commise en utilisant une arme ou en menaçant de le faire;
  • le fait que l’infraction a été commise en recourant à la force ou en menaçant de le faire, ou en recourant à la contrainte;
  • le fait que l’infraction a entraîné la mort ou le suicide de la victime ou de graves dommages physiques ou psychologiques pour la victime;
  • le fait que l’auteur de l’infraction a déjà été condamné pour des infractions de même nature;
  • le fait que l’infraction a été commise à l’encontre d’un ancien ou actuel conjoint ou partenaire;
  • le fait que l’infraction a été commise par un membre de la famille de la victime ou par une personne cohabitant avec la victime;
  • le fait que l’infraction a été commise en abusant d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence;
  • le fait que l’infraction a été filmée, photographiée ou enregistrée sous une autre forme et rendue accessible par l’auteur de l’infraction;
  • le fait que l’infraction a été commise en amenant la victime à prendre, à consommer ou à être sous l’influence de la drogue, de l’alcool ou d’autres substances inébriantes.

Délais de prescription minimaux

La directive prévoit également des délais de prescription minimaux, fixés à :

  • 20 ans pour le viol
  • 10 ans pour les mutilations génitales féminines
  • 7 ans pour la traque furtive en ligne et l’incitation à la violence ou à la haine en ligne
  • 5 ans pour le partage non consenti de matériel intime et le cyberharcèlement

Autres mesures

Sont également rendus obligatoire dans les États membres :

  • la création d’un moyen de signalement simple, confidentiel, et avec possibilité de déposer des preuves sans obligation de déposer plainte
  • la possibilité pour les métiers soumis au secret professionnel (par exemple médecines et avocats) de pouvoir signaler un risque pour la sécurité d’une personne
  • la mise en place systématique d’une évaluation personnalisée des besoins de la victime en matière de protection
  • la mise en place systématique d’une évaluation personnalisée des besoins de la victime en matière de soutien
    • si cette évaluation a mis en lumière des besoins de soutien, alors une unité d’aide devra prendre contact avec la victime
  • la mise en place systématique d’ordonnances d’urgence d’interdiction et ordonnances d’injonction et de protection
    • dès qu’il y a un risque sérieux pour la santé ou la sécurité de la victime ou des personnes à sa charge, les autorités doivent obliger l’auteur de l’infraction à quitter le domicile de la victime, et l’interdire de prendre contact avec elle ainsi que de se rendre sur son lieu de travail ou son domicile.
    • ces ordonnances ne nécessitent pas de signalement de la victime, ainsi, peu importe si c’est la victime qui a signalé, un voisin, ou juste la police qui est tombé dessus par hasard, ces ordonnances doivent être appliquées dès qu’un risque est trouvé
  • l’interdiction durant les procès de poser des questions à la victime sur sa vie sexuelle passée ou d’autres aspects proches de sa vie privée
  • un service de soutien spécifique pour les victimes doit être créé
  • l’obligation d’avoir des logements de secours pour loger les victimes, il doit y avoir une capacité de logement d’au moins un logement pour chaque tranche de 10 000 habitants (en France il faudrait donc 6800 logements), ils doivent pouvoir accueillir chacun une famille

Pourquoi la France est-elle contre une définition commune du viol ?

La France, comme la Pologne, la République Tchèque et l’Allemagne, ont demandé la suppression de la définition du viol de cette directive[3] (ainsi que de quelques autres mesures). Ils annoncent deux principales raisons :

  • Le viol n’est pas un crime dans lequel l’UE a son mot à dire. En effet, l’Europe ne peut légiférer que sur les « eurocrimes » dont fait partie la catégorie « l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants ». Le Parlement Européen et la Commission Européenne considèrent que le viol fait partie de cette catégorie (une directive sur le viol sur mineur est effectivement passé dans cette catégorie il y a quelques années), mais pas le Conseil de l’UE.
  • La définition du viol basée sur le consentement. Il s’agit bien plus ici d’un argument idéologique. En effet en France le viol est défini comme tout acte de pénétration commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, tandis que la directive le définit comme tout acte de pénétration sans réel consentement. Selon le ministre de l’égalité femmes-hommes, intégrer le mot « consentement » dans la définition serait « moins parlant » que de lister « violence, contrainte, menace ou surprise ».

En plus de la suppression de la définition du viol, le Conseil a supprimé 2 circonstances aggravantes :

  • « l’infraction a été filmée, photographiée ou enregistrée sous une autre forme et rendue accessible par l’auteur de l’infraction »
  • « l’infraction a été commise en amenant la victime à prendre, à consommer ou à être sous l’influence de la drogue, de l’alcool ou d’autres substances inébriantes »

Il est à noter que quand je dis « la France » pour parler de son siège au Conseil de l’UE, je parle du gouvernement français (pour ce texte c’est le ministre de l’égalité femmes-hommes) qui représente la France dans cet organe. En effet, le groupe Renaissance (le parti d’E. Macron) au Parlement Européen est favorable à cette définition du viol. Le Parlement Européen ayant annoncé qu’il serait intransigeant et que cette définition du viol figurera forcément dans le texte final. Le problème étant qu’il faille désormais que le Conseil de l’UE et le Parlement se mettent d’accord sous peine que la directive ne puisse pas passer.

Le gouvernement français est donc seul contre tous, contre le Parlement Européen et son propre groupe dans ce Parlement, ainsi que contre la Commission Européenne donc il a pourtant participé à la désignation des commissaires.


  1. Violence against women: an EU-wide survey. Main results report | European Union Agency for Fundamental Rights ↩︎

  2. Proposition de directive soumise par la Commission européenne ↩︎

  3. Directive modifiée par le Conseil de l’UE (N.B.: un texte en gras veut dire « modifié », un [...] veut dire « supprimé ») ↩︎

Etant presque pour la fédéralisation de l’UE, je trouve que c’est une très bonne chose.
Après la France qui casse les couilles c’est un classique. Mais faut pas oublier que c’est très dure de définir du consentement. Par contre l’idée de rajouter le consentement dans la loi je trouve ça tout sauf con.

Pour aller plus loin sur la thématique du consentement je recommande L’éthique aujourd’hui de Ruwen Ogien (et si vous avez la flemme de le lire, je pourrais faire un rapide résumé).